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Quantifier la déforestation illégale en Guyane : l’aide précieuse de TropiSCO

Publié le 22/11/2024
En assurant le suivi environnemental de certains écosystèmes critiques qui constituent des remparts contre le changement climatique, les solutions SCO peuvent aider différents acteurs du territoire face aux pressions subies. À l’instar de TropiSCO qui suit la déforestation tropicale en temps quasi réel, et dont les cartographies contribuent à lutter contre l’orpaillage illégal qui décime la forêt amazonienne.

Cet article est une adaptation du rapport « La télédétection satellitaire : un atout majeur dans la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane », réalisé par Caroline Debris, étudiante des ponts ParisTech, lors de son stage au SCO de janvier à août 2024. Nous la remercions pour sa grande implication et tout particulièrement pour cette remarquable enquête.

État des lieux de la situation en Guyane

La Guyane est la plus grande réserve de biodiversité terrestre française. Pourtant, là-bas aussi, la surexploitation des ressources menace le fragile équilibre des écosystèmes. La richesse naturelle de ce territoire d’exception doit être protégée, vite.

Depuis près de 20 ans, en réponse à l’accroissement de la valeur de l’or, la Guyane connaît une nouvelle ruée vers l’or1, largement illégale. Les garimpeiros (chercheurs d’or clandestins) utilisent du mercure pour amalgamer le précieux minerai, et contaminent ainsi sols et cours d’eau, mettant en péril la santé des habitants comme des écosystèmes. Entre 2001 et 2015, au moins 177 000 hectares de forêts ont disparu du fait de l’orpaillage sur l’ensemble des Guyanes.
Voir dossier WWF « Orpaillage illégal en Guyane »

L'orpaillage, responsable de 90 % de la déforestation en Guyane, se divise en deux catégories : l'orpaillage primaire, qui extrait l'or de la roche mère, et l'orpaillage alluvionnaire, qui le récupère dans les cours d'eau. Ce dernier, particulièrement destructeur et typique de l’orpaillage clandestin, utilise des barges pour draguer les sédiments et nécessite l'emploi de mercure, un métal toxique.

 

▶︎ Déforestation liée à l’activité minière en Guyane et cours de l’or 1990-2018. (Extrait de l’étude  Le « système garimpeiro » et la Guyane : l’orpaillage clandestin contemporain en Amazonie française)

Deforestation graph

Pour approfondir cette problématique en résonance avec le contexte actuel de surexploitation des ressources, Caroline Debris a pris contact avec des acteurs locaux engagés dans cette lutte. Le SCO se joint à ses remerciements à Lise Layotte et Clément Villien du WWF France, Mathilde André de l’ONF, ainsi que Sébastien Linares de l’EMOPI (État-Major de Lutte contre l’Orpaillage et la Pêche Illicite) pour leur précieuse collaboration.

Quel est l’apport des données satellites dans ce contexte ?

Face à la menace grandissante de l'orpaillage illégal en Guyane, Mathilde André (ONF/OAM) qualifie la télédétection satellitaire comme « indispensable ». Cette technologie revêt en effet une importance capitale dans la lutte contre cette activité, compte tenu de l'étendue et de l'inaccessibilité des territoires concernés. Les forêts denses et les régions éloignées rendent la surveillance traditionnelle depuis le sol ou par voie aérienne non seulement difficile, mais souvent impossible. Désormais, grâce à la constellation Copernicus, chaque point du territoire peut être revisité tous les 3 à 6 jours, avec des données gratuites, donc sans être dépendant de fournisseurs privés.

Comment sont traitées ces données ?

  1. À partir d’une image optique, comme celles de Sentinel-2, le principe général de cette méthode repose sur l’utilisation des contrastes entre l’objet observé et son environnement. Ici, l’objet observé est le site d’orpaillage et l’environnement est la forêt tropicale. Le contraste est donc fort : le sol mis à nu (jaune, marron) se démarque nettement de la végétation environnante (vert). Cela permet de détecter un déboisement.
  1. S’ensuit la caractérisation du déboisement détecté. Diverses données contextuelles sont utilisées (potentiel aurifère du territoire, cadastre minier, emplacement des unités de production, présence de parcs et parcelles d’exploitation) pour déterminer l’activité légale du territoire et ainsi mettre en lumière les déboisements réalisés en dehors de ce cadre légal.
  1. L’on examine ensuite la forme des déboisements pour identifier le type d’exploitation. Par exemple, les abattis, méthode traditionnelle d’agriculture sur brûlis, se caractérisent par de petites parcelles circulaires, les cultures fruitières adoptent une forme carrée légèrement plus grande, et l’exploitation forestière présente des détections linéaires dues aux routes créées à cet effet. L’orpaillage, lui, adopte souvent une forme sinueuse suivant le cours des rivières et, contrairement aux abattis qui atteignent généralement un stade stable après 6 à 12 jours, évolue constamment sur le plan géographique. 
  1. La distinction entre activités légales et illégales est un peu plus complexe. Généralement, un déboisement dans une zone sans exploitation répertoriée dans le cadastre minier est probablement illégal. Ces sites illégaux sont souvent isolés, nichés loin des voies d’accès principales, près des frontières et le long des cours d’eau. L'utilisation du mercure, souvent associée à l'orpaillage clandestin, est clairement identifiable sur les images satellites : les cours d'eau apparaissent presque blancs, témoignant d'une turbidité accrue due au remuement et au raclage occasionnés par cette pratique. Cette observation permet de remonter le cours des rivières jusqu'au site d'exploitation, facilitant les efforts de lutte contre ces activités illicites. Il est également possible d'examiner la date de déboisement : les chantiers d'orpaillage légaux sont plus fréquents en saison sèche, tandis que les chantiers illégaux sont plus courants en saison humide.

C’est ainsi que l’ONF exploite ces données. Une fois les détections effectuées, les données sont transmises via un cloud collaboratif aux autorités compétentes, incluant l'armée et la gendarmerie. Ces informations permettent de planifier des missions de terrain ciblées, particulièrement dans les zones isolées, en facilitant la localisation précise avant les vérifications par avion, drone ou hélicoptère. Cela assure une intervention plus rapide et efficace, permettant de valider ces détections et d’enrichir une base de données des « surfaces exploitées » qui contient plus de 30 ans de suivi. L'historique des images satellitaires, disponible depuis plusieurs années, permet également de retracer la chronologie des sites d'orpaillage, d'identifier les mines encore actives et celles abandonnées ou restaurées. Cela fournit des informations cruciales aux autorités avant toute intervention sur le terrain, aidant à anticiper la présence éventuelle de personnes sur les sites et à planifier les opérations en conséquence.

Un exemple d’utilisation : aide à la décision dans les réglementations du territoire 

En 2013, une « procédure accélérée d’installation d’entreprises minière » a été mise en œuvre, co-pilotée par les services de l'État, la collectivité territoriale de Guyane, l'ONF et les représentants du secteur minier. Le but était de faciliter l'installation rapide d'opérateurs miniers légaux en lieu et place des orpailleurs clandestins. L'enjeu était de déterminer l'effet dissuasif de cette mesure sur les garimpeiros. Pour cela, une analyse des images satellitaires a été effectuée pour mesurer la distance entre les mines légales et les chantiers clandestins entre 2013 et 2022.

Les images satellites ont permis de trancher sur l’efficacité de cette mesure. Les résultats sur une période de 10 ans montrent que 50 % des sites miniers illégaux se situent en moyenne à moins de 4 km d'une mine officielle et 25 % à moins de 2 km, révélant une absence d'effet repoussoir significatif. L'effet dissuasif a été limité : bien que les orpailleurs illégaux aient quitté les sites occupés par les exploitants légaux, ils sont restés installés à proximité de certains sites. De plus, l'exploitation légale n'a pas permis d'épuiser économiquement les gisements, ce qui aurait théoriquement réduit l'attractivité des sites pour les clandestins. De fait, si les opérateurs officiels sont soumis à des obligations techniques et réglementaires strictes (re-végétalisation, réhabilitation, horaires, assurances, cotisations), les garimpeiros, qui opèrent sans règles et exploitent les résidus aurifères, peuvent toujours rentabiliser leurs activités illégales après le passage d’un opérateur légal.

Grâce aux images satellites, il a donc été possible de conclure sur l'inefficacité de cette mesure réglementaire dans la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane.

Crique Nelson

▲ Images satellites optiques du site de la crique Nelson entre Octobre 2018 et Août 2020 (source: SentinelHub, visuel du rapport WWF 2024 Orpaillage Illégal Guyane Fausse piste et vrai levier)

Cap sur TropiSCO

Dans ce contexte, les acteurs locaux connaissent-ils TropiSCO et l’utilisent-ils ? « Oui » confirme Lise Layotte du WWF France, qui travaille actuellement sur la mise à jour de la cartographie des déforestations minières sur le plateau des Guyanes : elle utilise TropiSCO comme l'une de ses deux sources principales, intégrant ainsi cette plateforme dans son travail quotidien. En revanche, à l'ONF, l'utilisation est moins directe, l’ONF International ayant développé son propre algorithme de traitement des données Sentinel-2. Cependant, ils travaillent également sur un modèle de machine learning visant à automatiser les détections, et TropiSCO contribue à alimenter ce modèle, démontrant son utilité même de manière indirecte.

En accès libre, la plateforme TropiSCO.org permet de visualiser en temps quasi réel la déforestation tropicale de 2018 à aujourd’hui. Ses cartes de perte de couverture forestière sont automatiquement mises à jour tous les 6 à 12 jours à partir d’images radar du satellite Copernicus Sentinel-1.

Afin d’évaluer l’opérationnalité de la plateforme, Caroline Debris a tenté de vérifier des faits rapportés dans la presse à l'aide de TropiSCO. Voici les résultats obtenus :

  • La dimension transfrontalière du problème et la différence de traitement entre Guyane et Suriname 

▿ Franceinfo Guyane 1ère le 14 juillet 2022

Guyane 1° 14/7/22

▿ France Guyane le 7 septembre 2022

Fce Guyane 7/9/22

▿ France Guyane le 23 février 2023

Fce Guyane 23/2/23

Bien que l'usage des barges (pour l’orpaillage alluvionnaire) soit interdit en Guyane, il reste légal au Suriname. Sur le fleuve Maroni, frontière entre les deux pays, les barges surinamaises continuent de détruire les berges, provoquant érosion et déforestation. Les rives surinamaises sont défrichées, et la couche supérieure du sol est arasée à la pelle mécanique, puis les barges entrent en action, creusant la terre des berges à la recherche d’or. En plus des boues rejetées en grandes quantités dans le fleuve, étouffant ou faisant fuir toute biodiversité marine, cette pratique entraîne le déboisement et l’affaissement des rives, les rendant ainsi vulnérables à l’érosion dans une région où la pluviométrie est très importante. Le lit même du cours d’eau se trouve fortement modifié par endroits. En 2019, 36,7 hectares de forêt ont disparu sur seulement 25 km de fleuve entre Maripasoula et Papaïchton à cause de ces pratiques illégales. [Source : Orpaillage sur le fleuve frontalier entre la Guyane et le Suriname : télédétection des dommages causés par les barges aux rives du Maroni – Marie Ballère, CESBIO, 9 septembre 2020]

Ce mode opératoire peut être suivi en quasi temps réel et tout au long de l’année grâce aux cartes de déboisement produites par TropiSCO.

Maroni 2017

Maroni 2023

▲ Sur ces images de 2017 (à gauche) et 2023 (à droite), apparaît la création d’une barge sur le fleuve Maroni, témoignant du fait que cette pratique existe toujours au Suriname et qu’elle est extrêmement destructrice. © TropiSCO

Ces pratiques, régulièrement dénoncées par les autorités françaises et les organisations locales, devraient disparaître à terme. En août 2020, le nouveau gouvernement surinamais s'est en effet engagé, dans un accord de coopération avec la France, à ne pas délivrer de nouvelles licences d'exploitation pour ces usines flottantes et à ne plus renouveler celles arrivant à expiration. Le respect de cet accord constituerait une avancée pour le fleuve Maroni et ses habitants. Le suivi précis que l'on peut faire grâce à Sentinel-1 permettra de vérifier si ces annonces sont bien suivies d’actions.

 

► Sur cet écran TropiSCO, on voit très clairement qu’au Suriname, sur la rive gauche du fleuve Maroni, rien n’est réglementé, laissant place à une déforestation très importante, tandis qu’elle est beaucoup plus limitée coté Guyane. © TropiSCO

Maroni TropiSCO

  • Soutien aux opérations : Le Cas de la Crique Bagot

Les images satellitaires ont révélé des zones de déforestation et de pollution des eaux, aidant à planifier des opérations de répression ciblées. C’est le cas de la crique Bagot, dont les eaux sont régulièrement polluées par les activités aurifères illégales, que l’on retrouve sur TropiSCO.

▿ France Guyane le 19 septembre 2019

Fce Guyane 19/9/19

▿ Blada.com le 8 mai 2019

Blada 8/5/19

Bagot S2
 

 

 

 


© Copernicus, Sentinel Imagery

Bagot Tropisco© TropiSCO

▲ La chronologie de cette opération illustre l'efficacité des données satellitaires pour une intervention rapide et ciblée. Tout a commencé le 15 mai 2019 avec une image satellite capturée par Sentinel-2A. Le 20 mai 2019, l'ONF a détecté des activités suspectes grâce à cette image. Une semaine plus tard, le 27 mai 2019, une opération conjointe menée par l'ONF et la Gendarmerie a été lancée. Cette intervention a permis de détruire un campement comprenant douze carbets et deux chantiers équipés de motopompes et de tables de levée. Douze individus ont été interpellés, et les forces de l'ordre ont saisi 300 litres de carburant, 300 kg de nourriture et 100 kg de matériel divers. © TropiSCO

Épilogue

L'expérience de l'ONF et d'autres acteurs locaux montre que l’imagerie satellitaire est non seulement un outil de détection mais aussi un élément central de la stratégie de lutte contre l'orpaillage. Elle permet de maximiser l'efficacité des interventions sur le terrain, de réduire les impacts environnementaux et de renforcer la coopération internationale.

Pour l'avenir, l'intelligence artificielle a un rôle clé à jouer pour améliorer la précision des détections et, de fait, des interventions. Dans le cas de TropiSCO, qui est entièrement automatique, elle permettra notamment d’utiliser plusieurs sources de données simultanément, faisant de la télédétection un pilier incontournable de la protection environnementale en Guyane et plus généralement des forêts tropicales.

👏  Depuis novembre 2024, TropiSCO couvre l’Amazonie brésilienne, une info détaillée sur notre post LinkedIn.

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