L’outil SatLCZ est opérationnel
Ils sont trois, trois hommes dont les équipes ont porté le projet SatLCZ à son terme : Dominique Hébrard, Chef de projet pour le CEREMA, Jean-Charles Pruvost, Responsable de la production d'images France d’Airbus DS GEO, et Vincent Lonjou, référent CNES pour le SCO.
Entièrement automatisé à partir d’images satellite à très haute résolution, l’outil SatLCZ cartographie le tissu urbain en Zones Climatiques Locales, les LCZ. À quoi cela sert-il ?Dominique Hébrard : De manière schématique, les tissus urbains, en fonction de leur morphologie, accumulent plus ou moins de chaleur pendant les périodes estivales. Appelé ilots de chaleur urbains, ce phénomène se produit la nuit et traduit l’écart de températures entre les différents tissus urbains et les campagnes environnantes. Secundo, ces tissus urbains réagissent différemment selon diverses caractéristiques comme l’implantation et la hauteur des bâtiments, le type d’occupation du sol, son niveau d’imperméabilisation, etc.
Écrite par deux chercheurs - Stewart et Hok -, la méthode dite LCZ (local climate zone) fait consensus dans le milieu des climatologues en milieu urbain. Celle-ci repose sur une nomenclature et une série d’indicateurs qui permettent de classer le territoire en LCZ et qui, de fait, traduisent une certaine sensibilité des quartiers au phénomène d’ilots de chaleur. L’objectif final de SatLCZ consiste à produire des cartes donnant aux acteurs de terrain une meilleure connaissance de leur territoire pour implémenter des solutions dans leurs tissus urbains : désimperméabilisation, rénovation du patrimoine bâti, implantation de végétation, adaptation des mobilités…
En quoi les images satellites sont-elles si pertinentes pour la méthode SatLCZ ?Dominique Hébrard : Sans entrer dans les détails, nous avons besoin de produire un certain nombre d’indicateurs, pour caractériser les LCZ. En France, des bases de données nous permettent de travailler mais il demeure des « trous » sur le territoire, notamment pour la connaissance fine de l’imperméabilisation des sols. C’est pour combler ces manques que les images satellites nous sont utiles.
Vincent Lonjou : Effectivement, en France nous avons la chance d’avoir l’IGN, qui crée des données de référence sur tout le territoire. Mais cela n’existe pas dans tous les pays, c’est un véritable enjeu que de combler ce manque.
Jean-Charles Pruvost : Pour récupérer les données géographiques dont nous avons besoin, nous pouvons envoyer des gens sur le terrain, des drones ou des avions, mais cela reste onéreux et difficile à mettre en place, qui plus est partout dans le monde. Or l’imagerie Pléiades, à 50 cm de résolution, permet de générer de la donnée géographique cohérente, avec le degré de précision nécessaire à produire les indicateurs requis pour nos cartographies de climatologie. La clé vient de la stéréoscopie, spécifiquement programmée selon nos besoins : Pléiades prend des images en simple ou tri-stéréo d’une même zone, pour reconstruire un modèle 3D de la surface comprenant le sol, la végétation et les bâtiments. Grâce à l’algorithme que nous avons développé, nous pouvons extraire ces bâtiments et calculer leur volume de la façon la plus automatique possible. C’est cette info de volume qui est capitale en entrée pour le Cerema afin de pouvoir calculer l’écart de climatologie urbaine.
Le projet a été expérimenté en France et en Thaïlande. Pourquoi ?Jean-Charles Pruvost : Nous avons tout d’abord sélectionné une zone où l’on dispose de nombreuses données de référence pour valider la méthodologie, en l’occurrence la ville de Lille en France. Puis nous avons choisi une zone autour de Rayong en Thaïlande car Airbus DS y travaillait dans le cadre d’autres projets. Nous avons ainsi pu vérifier que la méthodologie est bien applicable quels que soient les paysages et les habitats.
Classification LCZ de la ville de Lille à partir d’une image satellite Pléiades. © SatLCZ
Qui sont et seront les utilisateurs de SatLCZ ?Dominique Hébrard : Les premiers bénéficiaires sont les collectivités locales qui ont besoin de cette connaissance pour adapter leur tissu urbain à la problématique d’ilots de chaleur. Celle-ci n’est pas nouvelle, mais sa prise en compte par des collectivités locales en France, oui ! Cela étant, il n’y a pas de modèle exclusif sur les bénéficiaires : il peut s’agir d’une petite collectivité, d’une métropole, et pourquoi ne pas imaginer une commande plus globale dans le cadre d’acquisition de grand patrimoine, avec des données à des échelles régionales, nationales…
Jean-Charles Pruvost : J’imagine également des utilisations à plusieurs niveaux, de la politique d’aménagement d’une ville à des projets très globaux. Pour moi, le but ultime serait un déploiement à une échelle continentale voire mondiale. Ainsi les données en tout point du globe seraient comparables entre elles, un besoin dont souffrent ces sujets.
Quel a été l’apport du label SCO au projet SatLCZ ?Dominique Hébrard : Projet à la limite de la recherche et mené dans un objectif opérationnel, SatLCZ est un travail de longue haleine pour le Cerema. Non seulement le label SCO représente une forme de reconnaissance et de légitimité des travaux que nous proposons – il ne suffit pas de déposer le projet pour être retenu – mais il permet de mettre un coup de projecteur sur ces travaux. Enfin, et ce n’est pas anodin, le SCO a posé le cadre qui a contribué à nous rapprocher d’Airbus DS.
Jean-Charles Pruvost : Dans cette période compliquée, le SCO a effectivement été une opportunité, y compris pour pousser le sujet en interne : l’investissement réalisé par Airbus sur ce projet n’aurait pas eu lieu sans la labélisation !
Quel a été le rôle de chacun des partenaires que vous représentez ?Dominique Hébrard : Porteur du projet, le Cerema a mis à contribution ses compétences techniques, scientifiques et d’aménagement du territoire, de la création du projet à son implémentation opérationnelle sur le terrain. Sur la base des travaux produits en interne par une équipe de chercheurs en climatologie urbaine, nous avons pensé une méthode exploitable et réutilisable, qui ait du sens au regard des enjeux d’aménagement du territoire urbain. Pour cela nous avons tenu également un rôle « d’assemblier » vis-à-vis des questions de données, de traitement des images, de qualification des produits géographiques et, d’un point de vue méthodologique, de l’implémentation et de la mise en œuvre de l’algorithme caractérisant les LCZ. Nous intervenons enfin sur le transfert de compétences : autant le Cerema accompagne les collectivités sur les cas d’école, autant, sur un projet comme SatLCZ, il se fait passeur aux cotés des industriels et des PME vers une solution de production et commercialisation. Aujourd’hui, Airbus DS et le Cerema discutent sur la meilleure façon d’industrialiser SatLCZ pour changer d’échelle.
Jean-Charles Pruvost : Airbus DS GEO a supervisé l’acquisition des images satellites et la production des données géographiques de base, c’est-à-dire les cartographies d’occupation du sol et les modèles 3D.
Vincent Lonjou : En tant que référent CNES, j’ai assuré la mise en place du cadre juridique et contractuel du projet dans le programme SCO. J’ai également suivi le bon déroulement du projet et apporté un support à sa valorisation.
Vous évoquez une industrialisation de la méthode. En quoi ce projet a-t-il ouvert une opportunité commerciale pour Airbus DS ?Jean-Charles Pruvost : Le logiciel mis en œuvre dans le cadre de SatLCZ s’est amélioré au fil des années, et continue à progresser par l’intermédiaire de projets avec la Défense française notamment, pour aboutir à un outil de production semi-automatique de cartographie d’occupation du sol à partir de données Pléiades. Grâce aux nouvelles constellations Pléiades Neo (en cours de déploiement) et bientôt CO3D, nous allons pouvoir augmenter très largement notre capacité de couverture. Leurs résolutions extrêmement fines permettront une qualité suffisante pour apprécier pleinement les variations temporelles sur plusieurs années, à l’échelle mondiale. D’ailleurs les premiers résultats générés ces dernières semaines avec la finesse des données Pleiades Neo sont tout simplement bluffants ! Ces satellites sont parfaitement adaptés au milieu urbain et nous les interfaçons de plus en plus avec nos logiciels de modélisation 3D, l’autre grand axe de travail d’Airbus sur la production à valeur ajoutée comme les modèles numériques de terrain (MNT) et de surface (MNS), jusqu’aux modèles 3D complets et texturés.
Finalement, quels sont selon vous les enjeux de l’adaptation urbaine et comment SatLCZ y répond-il ?Dominique Hébrard : Typiquement, quelque chose est en train de se jouer. La loi Climat et Résilience votée cet été [loi du 22/08/2021] enfonce le clou sur un sujet vieux de 20 ans : la lutte contre la consommation de l’espace. Ce texte fixe un objectif de « zéro artificialisation nette » en France d’ici 2050. Cela signifie d’une part que le sol et le foncier urbains vont devenir de plus en plus rares et chers, et d’autre part que les projets d’aménagement urbains vont s’orienter sur l’intensification urbaine, la reconstruction de la ville sur elle-même. Dans ce contexte, la connaissance fine des tissus urbains s’annonce comme un enjeu de premier plan pour densifier tout en adaptant les villes au changement climatique. C’est déjà vrai sur le territoire français mais la problématique est mondiale. Une mutualisation des méthodes et outils sur l’objet urbain me paraît indispensable.
Jean-Charles Pruvost : Milieu extrêmement compliqué, l’urbain est incontestablement un sujet 3D. L’arrivée de Pléiades Neo nous inspire un projet encore plus ambitieux, que j’espère en 2022, pour réunir l’ensemble des problématiques urbaines autour de ces données si fines.