GeoHaTACC ou l’optique satellitaire pour détecter les aléas géo-hydrologiques
Par aléas géo-hydrologiques (geo-hydrological hazards en anglais), entendez glissements de terrains et crues soudaines, des phénomènes qui peuvent s’avérer violents et dont l’impact est particulièrement présent dans la zone tropicale. Si l’occurrence de pluies intenses est le principal facteur lié à leur survenue, les modifications de paysages induites par l’activité humaine sont un facteur aggravant important. À cela vient s’ajouter le changement climatique, qui modifie la fréquence et l’intensité de ces événements.
Porté par l’École et Observatoire des Sciences de la Terre (EOST) et une équipe de recherche belge du Musée royal de l’Afrique centrale (RMCA), le projet GeoHaTACC se concentre sur le Rwanda, zone du rift Est-Africain particulièrement sujette à ces aléas qui se répètent à chaque saison des pluies.
La première année du projet a permis à l’équipe internationale de poser les bases de sa méthodologie automatique de détection et de classification de ces aléas en lien avec la pluie. « Côté français, nous portons la mise en œuvre de la composante satellitaire co-développée avec nos collègues belges pour identifier et cartographier les mouvements de terrain à partir de longues séries temporelles d’images optiques Sentinel-2. Cela inclue le développement d’une chaine de traitement associant des technologies innovantes de cubes de données, d’analyse de séries temporelles massives, d’intelligence artificielle et de calcul massif. Nos collègues belges développent deux approches de détection innovantes : l’une porte sur l’utilisation de l’imagerie radar Sentinel-1 comme outil complémentaire à la détection des aléas géo-hydrologiques à l’aide de données optiques, et l’autre sur l’extraction d’information dans les médias (presse en ligne, réseaux sociaux, sites web) à l’aide de l’intelligence artificielle et des modèles d’analyse du langage. Ils apportent également leur connaissance du Rwanda, leurs bases de données et leurs contacts scientifiques locaux. Ensemble, nous intégrons également des données satellitaires météorologiques existantes, que nous analysons pour comprendre les conditions de pluie déclenchant ces phénomènes. » expose Jean-Philippe Malet, géophysicien à l’EOST et pilote du projet. Entrons avec lui, et son équipe, un peu plus dans le détail des travaux déjà réalisés.
✅ Constituer le socle géospatial numérique
Devant commencer par créer une base de données géospatiale, « Nous partions de peu de choses ! » indique Aline Déprez, ingénieure en calcul scientifique. « Nous avons travaillé à l’harmonisation de plusieurs bases de données topographiques haute résolution, des modèles numériques de surface, des cartes géologiques que nous avons numérisées puis digitalisées pour obtenir des données homogènes. Puis nous avons procédé de même pour identifier les données météorologiques les plus pertinentes ».
▲ Collecte, harmonisation et géoréférencement de diverses sources de données géospatiales. © CNRS/EOST & RMCA (A. Déprez, J. Jean-Baptiste, O. Dewitte & B. Smets)
▲ Le projet a construit une architecture technologique de cube de données permettant d’intégrer et d’exploiter des données multi-sources et hétérogènes. L’exemple ci-dessus permet de relier données de température, données de précipitation pour une localisation spatiale (un ou plusieurs pixels) et une date de déclenchement d’un aléa géo-hydrologique. Au terme du projet, cette capacité d’exploitation sera disponible en ligne sous la forme d’un service web pour croiser des informations différentes. © CNRS/EOST (D. Michéa et J.-P. Malet)
✅ Produire des inventaires d’aléas géo-hydrologiques de manière automatique
Dans une seconde étape, l’équipe s’est attachée à créer un inventaire historique des glissements de terrain et des crues torrentielles depuis 2016 à partir des données satellitaires Sentinel-2. Ces détections complètent des inventaires géomorphologiques existants réalisés, pour la plupart, par les équipes du RMCA et leurs partenaires Rwandais.
L’équipe du projet travaille sur cette détection automatique à l’échelle du pixel depuis plusieurs années, de sorte que la méthodologie s’avère aujourd’hui bien consolidée. En substance, le système génère des cubes de 6 indices spectraux dérivés des bandes radiométriques des satellites optiques (comme, par exemple, l’indice de végétation NDVI). En calculant la somme cumulée dans le temps de chaque indice par pixel, les variations (positives/négatives) sont analysées pour détecter un changement brusque. Une variation importante d’un indicateur (la proéminence) permet d’identifier et de cartographier les changements brusques à l’échelle du pixel. Ensuite, une méthode de classification supervisée par apprentissage machine permet d’identifier des zones (segments) qui ont connu un changement sur la période considérée et de généraliser spatialement l’information. La méthode prend un compte des critères topographiques, ce qui permet notamment de discriminer les aléas géo-hydrologiques des autres changements possibles (déforestation, urbanisation).
Le concept de la méthode a été mis en place par Axel Deijns, un doctorant du projet travaillant au RMCA, et la méthodologie a été opérationnalisée pour un passage à l’échelle par David Michéa, ingénieur en calcul scientifique à l’EOST.
▲ Courbe d’indices dérivés des séries temporelles d’images satellite optiques. À gauche du graphique, la chute de la courbe est nette et correspond à un évènement d’aléa géo-hydrologique. À droite, les « drops » étant récurrents, ils traduisent un changement saisonnier et non un aléa géo-hydrologique. © RMCA & EOST (A. Deijns, A. Déprez)
Vers une détection systématique et régionale à partir de Sentinel-2
Plusieurs tests sur des tuiles Sentinel-2 en dehors du Rwanda, sur des zones bénéficiant de bases de données digitales comme le Burundi, la République Démocratique du Congo ou encore la Tanzanie, confortent l’efficacité de la méthodologie. Jean-Philippe Malet l’affirme : « nous pouvons désormais envisager un traitement quasi systématique et incrémental sur plusieurs zones Sentinel-2 et ajouter les nouvelles données aux cubes permettant ainsi des détections régionales ».
En 2024, l’équipe du projet travaillera à l’exploitation de données météorologiques pour comprendre, au premier ordre, les conditions de forçage de ces aléas, à la fois en termes de seuils, d’intensités et de type de pluie déclenchant ces aléas, afin de dégager des tendances. L’équipe, via le travail de thèse de Bram Valkenborg (RMCA) souhaite développer la mise en place d’une procédure permettant, à partir de l’analyse d’articles en ligne par des méthodes d’intelligence artificielle adaptée au langage naturel (NLP / Natural Language Processing), d’identifier des aléas décrits dans les journaux en ligne et les médias sociaux. Idéalement, ceci permettrait d’optimiser la détection satellitaire pour certains événements mentionnés en ligne.
Restera alors à passer à l’échelle en termes de calcul. Jean-Philippe Malet indique que ceci « sera réalisé grâce aux collaborations entre le projet et l’infrastructure de recherche Data-Terra via ses pôles thématiques THEIA et ForM@Ter ». La livraison de l’interface du démonstrateur actuel est prévue pour le premier semestre 2025 sous la forme d’un service web opérationnel et automatique, dont l’usage sera présenté aux institutions rwandaises, telles que des universités, l’agence spatiale, Meteo Rwanda et le MINEMA.
Selon le pilote du projet, « cette méthodologie est maintenant mâture pour un passage à l’échelle et alimenter des détections automatiques pour diverses régions du monde, sous réserve d’un paramétrage par zones physio-géographiques. Dans un second temps, lorsque la base de données sera suffisamment étoffée et validée, les inventaires d’aléas géo-hydrologiques pourraient alimenter un entrepôt global, utile à la fois pour des recherches scientifiques sur la compréhension des changements climatiques sur la fréquence et l’intensité de ces aléas, et pour des besoins opérationnels en termes de gestion du risque. Mais ne brûlons pas les étapes, chaque chose en son temps ! »
Références scientifiques :
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Deijns, A.A.J., Dewitte, O., Thiery, W., d’Oreye, N., Malet, J.-P., Kervyn, F., 2022. Timing landslide and flash flood events from SAR satellite: a new method illustrated in African cloud-covered tropical environments. Natural Hazards and Earth System Sciences 22, 3679–3700. doi:https://doi.org/10.5194/nhess-22-3679-2022
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Deijns, A.A.J., Michéa, D., Déprez, A., Dewitte, O., Kervyn, F., Thiery, W., Malet, J.-P., in review. A semi-supervised multi-temporal landslide and flash flood event detection methodology for unexplored regions using massive satellite image time series. ISPRS Journal of Photogrammetry and Remote Sensing.
Participants au projet : Axel Deijns, Aline Déprez, Olivier Dewitte, Jean-Philippe Malet, David Michéa, Benoît Smets, Bram Valkenborg