Cartovege exploite la complémentarité des données drone et satellite
Au cœur de l’action du SCO pour automatiser des systèmes de suivi et des modèles de prédictions, les données spatiales offrent généralement leur plus-value en complémentarité d’autres sources de données. Quand elles existent… Dans la négative, l’idéal consiste à aller récupérer les informations sur le terrain.
Cartovege et les données satellite
Labellisé SCO en mars 2021, le projet Cartovege utilise des données satellitaires pour développer un outil d’aide à la décision pour la conservation de la flore et la préservation des habitats sur les archipels de Crozet et Kerguelen, en combinant la cartographie de la végétation et la modélisation prédictive des changements pouvant l’affecter.
Pour être efficace à large échelle et reproductible à moindre coût, la modélisation se fait par un "apprentissage machine" basé sur des données de télédétection satellitaire pour automatiser la cartographie des différents types de végétation. Ces données sont couplées à des relevés de terrain pour entraîner le modèle et vérifier la véracité de la classification végétale produite. À ceci près que la méthode classique pour récupérer ces données in situ (relevés floristiques) a ses limites, qui plus est dans un environnement où le relief est contraignant.
Le recours au drone
« Utiliser un drone pour le suivi de la végétation est un pari scientifique et technologique réussi dans les Terres australes françaises, où le vent conditionne fortement le déroulé des campagnes d’échantillonnage » se réjouit Diane Espel, postdoctorante en télédétection et modélisation en écologie pour le projet Cartovege. Télépilote de drones pour le CNRS depuis 2018, la jeune femme a proposé d’utiliser cet outil « pour générer des données d’entrée destinées à entraîner et valider notre modèle de cartographie automatique de la diversité des habitats naturels terrestres dans les Terres australes françaises ».
« Quand on développe un modèle, les données d’entraînement et de validation sont le nerf de la guerre. »
Cherchant un juste milieu entre poids, qualité d’image et prix, Diane Espel a jeté son dévolu sur un petit drone quadrirotor de 600 grammes pour 30 cm d’envergure, équipé d’un capteur optique CMOS 1’’ permettant de capturer des clichés de 20 mégapixels, et complété de six batteries. « Le drone est un système clé en main qui tient dans un sac à dos, ce qui est très pratique dans ces paysages vallonnés » relate-t-elle.
Performant dès la première campagne
Après une préparation minutieuse du programme de vol, sur un fond de carte satellite de l’île de la Possession (archipel de Crozet), Diane a pu dérouler la première campagne drone soutenue par l’Institut polaire français(projet 136-SUBANTECO), durant l’été austral, de novembre à décembre 2022, « période où la végétation qui constitue les habitats est à son pic de développement ». Crozet étant classée “réserve naturelle” depuis 2006, la télépilote a auparavant pris soin de demander les autorisations préfectorales nécessaires et sollicité les ornithologues sur place pour éviter les zones en bordure du littoral interdites de survol (lieux de nidification, présence de colonies).
◀︎ Programmation de vol, sur fond de carte satellite de l'île de la Possession, réalisée sur l’application Litchi. Suivant le circuit en "zigzag" prédéfini, le drone réalisera des prises de vue de la végétation toutes les deux secondes à altitude et vitesse constantes, qui seront recombinées en une unique orthomosaïque. © CNRS D. Espel 2022 |
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Au terme d’un mois de campagne, le retour d’utilisation est excellent : sur les cinq sites sélectionnés, le drone a réalisé 21 missions de vols et acquis près de 15 000 images. Chaque mission équivaut à 25 minutes effectives de vol par batterie, durant lesquelles le drone couvre 3 hectares à raison de 700 photos.
« Avec son petit gabarit, le drone est parfaitement adapté à ce type de milieu où seules les conditions météorologiques (froid, brouillard) peuvent perturber le signal de téléguidage. Le modèle adopté par l’équipe (un DJI AIR 2S) est très stable jusqu’à 40 km/h de vent et ne dérange absolument pas la faune, en particulier les Skuas (oiseaux) qui peuvent s’en approcher, malgré les précautions prises. Cependant, mieux vaut rester à proximité d’une cabane qui dispose d’un groupe électrogène ou d’une bonne batterie solaire pour recharger les batteries. En termes d’exploitation, les images obtenues répondent parfaitement à nos attentes » synthétise la scientifique.
L’exploitation des données drone
Méthodologiquement parlant, les données générées par le drone, associées à différents types d’habitats, sont injectées dans le modèle pour entraîner sa classification supervisée puis pour valider, sinon corriger, ses prédictions. © Cartovege
Après cette première campagne, Diane Espel liste toutes les applications du drone. Rappelons que le modèle, qui est régulièrement mentionné dans cet article, est, lui, alimenté par des données satellite.
Assemblées en une seule vue appelée orthomosaïque, Diane Espel s’en sert pour interpréter visuellement les types d’habitat et produire une carte des habitats observés. Cette dernière permettra de corriger d’éventuelles erreurs de prédiction des habitats par le modèle.
Ces orthomosaïques, géoréférencées, peuvent également constituer un témoignage de la végétation à différentes échelles, et ainsi être utilisées pour des avant/après, par exemple pour vérifier l’efficacité ou l’impact d’une mesure de gestion, comme une opération d’éradication de mammifères introduits (rongeurs), qui impactent la végétation par consommation de graines.
- Réalisation de vidéos, utiles notamment pour communiquer sur le projet, ou explorer les environs
Avec autant d’atouts, le drone a séduit toute l’équipe, qui compte bien le mettre à profit pour dérouler Cartovege2, destiné à transposer (dès novembre 2023) le modèle développé sur Crozet sur deux autres îles des Terres australes françaises (Saint-Paul et Amsterdam), au climat subtropical. « Grâce à cette première campagne, nous avons pu mettre en place un protocole d’utilisation du drone peu contraignant pour les utilisateurs et pérenne toute l’année » résume Diane Espel.
Si l’aventure drone vous tente pour votre projet, sachez que vous aussi pouvez devenir télépilote professionnel. Pour cela, vous devrez à minima obtenir une certification théorique et suivre une formation pratique dans un centre instructeur reconnu par la direction générale de l’aviation civile.
Photo bonus
Le drone constitue un excellent moyen pour générer des données de terrain sans perturbation de la faune vertébrée notamment. En témoignent sur cette image les éléphants de mer qui se prélassent au soleil sur la pelouse à Poa annua de la Baie Américaine, nullement incommodés par l’engin qui les survole ! Sur la droite de l’image apparaissent les mares temporaires et les habitats paratourbeux. © CNRS D. Espel, Décembre 2022